L'économie circulaire est un mode de vie, une disposition d'esprit, une doctrine, mais aussi une opportunité économique. Portrait de Romain Poulles, celui qui est à l'origine de sa transposition au Luxembourg.
Extrait Wort - 18.03.2018 par Pierre Sorlut
Quand Romain Poulles s'exprime, on l'écoute. Ses gros bras, sa grosse bague, sa grosse montre et sa grosse voix pourraient expliquer l'attention qu'on lui prête, mais c'est son engagement résolu pour l'économie circulaire qui interpelle. Le promoteur immobilier, 48 ans aujourd'hui, (fondateur de Progroup en 1996) a été le premier ambassadeur luxembourgeois de cette doctrine consistant à penser un produit dans l'entièreté de son cycle de vie pour qu'il ait un impact positif sur l'environnement et la société.
Engoncé dans sa bergère de récup' posée dans le coin de la baie vitrée dominant les champs du Windhof, Romain Poulles détaille comment passer du moins de déchets à «pas de déchet du tout». Un mode de vie. L'entrepreneur du bâtiment est tombé dedans à la faveur d'une rencontre avec l'essayiste et théoricien du «cradle to cradle» (du berceau au berceau) Michael Braungart lors d'un séminaire à Londres en 2009. M. Poulles était alors en train de bâtir le siège emblématique de Progroup, Solarwind, un bâtiment recouvert de verdure et coiffé d'éoliennes turbines. «Un moment dans ma vie où j'ai ouvert les yeux», explique-t-il aujourd'hui. «Au lieu de se dire 'limitons les dégâts causés à la biodiversité du site, ambitionnons dès le départ de l'augmenter‘. C'est un autre regard sur la même thématique. On ouvre d'autres portes: façades ou toitures végétalisées, hôtel à insectes, un jardin d'herbes, une trentaine d'arbres fruitiers. On a une crèche en bas. Les enfants cueillent les fruits. Nous faisons notre miel», détaille Romain Poulles avec une passion contagieuse.
Le toboggan du hall a été réalisé avec le puits canadien qui chauffe le bâtiment, des lampes avec de vieilles raquettes de tennis et des canapés avec des barils d'huile. Mais ne nous y trompons pas, prévient M. Poulles. «C'est une manière de mettre le problème en évidence, mais cela ne résout rien. Ceci n'a rien à voir avec l'économie circulaire. Rien!» L'économie circulaire, c'est éliminer la notion de déchet. Il faut concevoir ou reconcevoir chaque objet pour être désassemblé, modulable et flexible. «Mais cela n'a aucun sens si cela n'a pas de valeur pour l'entreprise qui le produit».
Romain Poulles explique par l'exemple. Quand Thomas Edison invente la lampe à bulbe dans les années 1880, l'ampoule a une durée de vie de 1.500 heures. Quarante années plus tard, elle a augmenté de 50 %. C'est le moment que choisissent les fabricants (General Electric, Philips et Osram entre autres) pour fonder l'un des premiers cartels. Les lampes ne devront pas durer plus de 1.000 heures, comme l'a expliqué Cosima Dannonrizer dans son documentaire «Prêt à jeter».
«Une lampe qui ne casse pas ne génère aucun revenu pour les fabricants», analyse l'entrepreneur, qui poursuit: «Il y a à peine trois ans, Phillips est confrontée à un architecte allemand du nom de Thomas Rau». Il concevait un bâtiment de bureau. «Je n'ai pas besoin de vos lampes, mais de luminosité la nuit», aurait-il dit selon M. Poulles. «J'ai besoin de lux. Peu importe comment vous les produisez, mais moi je veux 300 lux sur cette table toute l'année. Après un peu de temps de réflexion Phillips a joué le jeu et a sorti un modèle de ,light as a service‘. Cela inverse tout», raconte l'entrepreneur luxembourgeois. Les fabricants peuvent envisager un autre modèle avec des produits plus solides, réutilisables. Ils peuvent même greffer d'autres services comme la détection de mouvements ou la surveillance.
«On est au début de cette révolution», s'illumine Romain Poulles. Il prend comme référence l'industrie de la musique. Si certains nostalgiques apprécient le son et le toucher des vinyls, les cassettes, CD, minidiscs, DVD... tous les supports physiques sont remplacés par le numérique via Spotify, Deezer, Amazon ou autres iTunes. Le français Michelin loue des pneus au kilomètre. Le néerlandais Mud Jeans loue des pantalons conçus en matière recyclable. Airbnb vend de l'espace vide. Le luxembourgeois Kounitoys loue des jouets en bois pour les enfants. La mobilité devient un service. Le changement opère. Il s'agit de l'accélérer pour le bien commun. Romain Poulles souligne le taux d'inoccupation chronique des bâtiments. 80 % en moyenne. Celui des voitures. «Toutes se garent. 20 % des places de parking du Luxembourg sont occupées», fait savoir M. Poulles. Nous vivons dans un vaste gâchis et il convient d'en prendre conscience, voici la pensée de celui qui est devenu Monsieur Propre. Des entreprises, comme le producteur de surfaces au sol Tarkett, s'y mettent. D'autres y viennent.
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