Souvent abstraite, l’économie circulaire peut sembler, dans l’esprit de chacun, comme un ensemble de concepts généraux : allongement des flux de matières, écoconception, boucles de valeur… Toutes ces notions peuvent en effet paraître très éloignées de la réalité quotidienne et de nos habitudes de consommation. Il n’en n’est rien, bien sûr. Et les principes de l’économie circulaire sont tout sauf abstraits. Ils sont, bien au contraire, ancrés dans le monde dans lequel nous vivons. Qu’on se penche seulement sur le monde de la mode !
La mode, un ogre environnemental
A priori, la mode représente, par essence, l’élément principal contre lequel se dresse l’économie circulaire : l’obsolescence programmée. La mode, c’est par définition ce qui se démode et lorsque j’achète un costume chic en 2021, je sais qu’il ne sera plus aussi chic dans deux ans et quasiment ringard dans cinq !
Mais surtout, l’industrie textile est la deuxième industrie la plus polluante au monde. Le système actuel de production, de distribution et d’usage est presque entièrement linéaire avec des impacts négatifs - environnementaux et sociaux - à toutes les étapes de la chaîne de valeur.
Entre 7 000 et 11 000 litres d’eau sont nécessaires à la fabrication d’un jean et l’impact en eau de tous les vêtements consommés dans l’UE s’élève à 46 400 millions de m3.
D’autre part, le secteur textile est fortement dépendant des énergies fossiles, puisque les fibres synthétiques (polyester, polyamide, etc.) sont issues du pétrole. Le polyester représente aujourd’hui 60 % des fibres actuellement utilisées et son usage devrait doubler d’ici à 2030. L’industrie textile génère également diverses pollutions lors de la production des fibres (usage de pesticides et fertilisants pour le coton qui représente 26 % des fibres utilisées) pendant la production (eaux de teinture chargées de produits toxiques) et pendant l’usage (microfibres plastiques).
Et ce n’est pas tout ! La production et le transport des textiles génèrent 1,2 milliard de tonnes de gaz à effet de serre par an, soit davantage que tous les vols internationaux et les transports maritimes réunis.
Enfin, la chaîne de valeur est longue pour produire un vêtement car chaque étape peut avoir lieu dans un pays différent : un jean peut parcourir jusqu’à 1,5 fois le tour du monde, du champ de coton à la boutique ! Quant à la phase d’usage, il semble qu’elle ait le plus fort impact carbone (lavage et séchage en machine) tandis que la production serait responsable d’environ un quart des émissions de CO2.
Bref, le tableau de l’industrie des vêtements, aggravé depuis quelques années par la fast fashion, n’est guère réjouissant. Mais l’idée n’est pas d’accabler les coupables et de forcer tout le monde à se promener tout nu ! L’économie circulaire est là, au contraire, pour proposer des solutions. Elles existent.
Pas de solutions de recyclage
Contrairement aux idées reçues, le recyclage des textiles reste complexe. En effet, un vêtement est un produit hybride, construit à base de matières différentes (naturelles, artificielles, synthétiques), d’accessoires en métal, et qui subit des traitements (teinture, apprêts). Cette complexité ne facilite pas le recyclage ni en cours de production ni en fin de vie : pour preuve, aujourd’hui 80 % des textiles utilisés dans l’Union Européenne ne sont pas recyclés. Et, même si en recyclage dit « ouvert » (qui utilise les matériaux pour créer un autre objet), les vêtements, surtout en polyester, sont plus simples à être transformés, un fort investissement est nécessaire pour développer les technologies de recyclage afin que les matières recyclées deviennent aussi rentables que les matières vierges. Les solutions existantes ne permettent donc pas de compenser les dommages environnementaux causés par l’industrie textile.
Circu-conception
Si le concept de recyclage ne fonctionne pas, c’est en amont qu’il faut se tourner : dès l’étape de production des vêtements, les industriels peuvent favoriser des modèles de conception circulaire et un approvisionnement en matières plus durables.
Le choix des tissus est par exemple primordial : le coton étant la deuxième matière la plus utilisée après le polyester, mieux vaut privilégier l’usage d’un coton biologique et de fibres naturelles moins chargées en fertilisants chimiques et pesticides.
L’étape de découpe des habits peut également être largement améliorée. Actuellement, elle génère entre 20 et 30 % de chutes. Il appartient donc aux designers de repenser en amont la production, de manière à optimiser l’utilisation des tissus. Ultime objectif : créer des patrons zéro déchet !
En aval, prolonger la durée de vie des vêtements. Parler mode, c’est aussi tenir compte du fait que les consommateurs se lassent rapidement de leurs vêtements. Ainsi, la durée de vie moyenne d’un vêtement porté dans un pays de l’Union européenne est de 3,3 ans. Des dizaines d’habits non portés et pourtant en très bon état dorment ainsi dans nos placards ! Pour favoriser leur réutilisation, de nouveaux services de partage et de location de vêtements ont déjà émergé.
Chaîne vertueuse
Pour favoriser ces changements, tous les acteurs de la chaîne de production-distribution-consommation ont un rôle à jouer. Cette collaboration est l’une des clés de réussite de la transformation de l’industrie textile vers un nouveau modèle.
Le passage vers une mode circulaire ne se fera pas sans les marques. Pour elles, s’emparer des sujets de l’impact environnemental est désormais un enjeu clé. Tant mieux, car elles ont les capacités de s’engager pour limiter les impacts environnementaux de leurs activités et disposent d’un véritable pouvoir de prescription auprès des consommateurs : grâce à l’image qu’elles véhiculent, le recyclé et le vêtement d’occasion peuvent devenir tendance ! Certaines marques se mettent également à proposer des services de réparation pour encourager les clients à conserver leurs vêtements plus longtemps.
Cette démarche est aussi encadrée par une réglementation renforcée en Europe pour davantage réguler le secteur et inciter les entreprises textiles à développer des filières d’écoconception, de collecte et de recyclage de leurs produits.
Des modèles de location de vêtements se démultiplient, les plateformes de partages également. Leur but (autre que financier) : augmenter l’intensité d’usage de chaque vêtement, garantir le retour in fine dans la chaine industrielle pour préparer le recyclage.
Enfin, rien n’est possible sans l’action des consommateurs placés au bout de la chaîne de valeur. Charge à eux d’adopter les nouveaux modèles économique de location et de partage, et une consommation de vêtements plus responsable. Ils peuvent ainsi se tourner vers des marques plus éthiques pour faire leurs achats et exiger davantage de transparence quant à la conception des pièces.
Bref, des solutions existent pour permettre à l’industrie de la mode de relever le défi environnemental sans renier ce qui fait sa spécificité et ce qui nous plaît : sa créativité !
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